Laurent Balmelli : l’écosystème de l’idée

Pour Laurent Balmelli, lorsque l’idée a germé, il faut anticiper : l’innovation ne peut pas être un seul arbre, mais une forêt, soit un écosystème complexe aux dimensions multiples. Doté d’un CV impressionnant et d’une personnalité hors du commun, l’entrepreneur neuchâtelois a créé puis revendu deux start-ups à des géants californiens (Strong Codes, racheté par Snap en 2016 et Strong Networks, qui vient d’être acquis par Citrix). Actuellement vice-président de Citrix, entre Neuchâtel, le Japon et les Etats-Unis, il partage son expérience sur l’émergence d’idées et les leviers de succès, imprégné de la passion d’innover, mais aussi de la volonté de comprendre et de donner du sens au monde des technologies.

« J’ai toujours aimé me confronter à des idées différentes des miennes afin de tester mes propres limites. » Touche-à-tout, curieux et passionné, Laurent Balmelli n’apporte pas seulement un enthousiasme communicatif, mais aussi un regard nuancé et distancié sur l’innovation technologique. Au fil des discussions, il saisit son stylo pour esquisser un schéma, suit une idée, digresse, puis fouille dans son immense répertoire de lecture à la recherche d’un auteur, d’une pensée ou d’une citation. Il cite Platon, Nietzsche, mais aussi Henry Kissinger et Thomas Friedman. À ses yeux, l’attrait de l’invention, ce n’est pas de donner la réponse, mais surtout de poser les bonnes questions.

Le goût de la feuille blanche

Au début, il y a le vide. « J’adore la feuille blanche», relève Laurent Balmelli. Dans un tourbillon d’idées et d’images, il raconte, avec une grande humilité, comment il a fait de ses différences, ressenties depuis l’adolescence, des forces. « Je n’ai jamais été le meilleur mais j’ai toujours été créatif. Au début de mes études à l’EPFL, j’ai failli abandonner. Je me sentais en quelque sorte illégitime. » C’est pourtant durant cette période qu’il comprend comment dépasser ses limites. Ou plutôt, celles qu’il se mettait alors, en quelque sorte intimidé par ce qui existait déjà.
C’est son doctorat qui lui a appris à surpasser les pensées limitantes pour décupler sa créativité. Il est marqué par les mots de son professeur de thèse, Martin Vetterli, ancien président de l’EPFL, qui lui a conseillé de ne jamais rien prendre pour acquis. « Il me disait de ne pas me laisser influencer par ce qui avait déjà été publié. C’est en essayant de me détacher du poids de l’existant que tout à coup, j’ai pu mettre le doigt sur quelque chose de nouveau. »
Après son doctorat en systèmes de communication, il travaille chez IBM dans la division de recherche à New York, puis à Tokyo. Cette division est spécialisée dans la création de nouveaux produits et services qui sont brevetés par IBM et licenciés mondialement. C’est un des rares endroits au monde où le but quotidien est d’inventer. Pendant 12 ans et en collaboration avec ses collègues, il deviendra le coauteur d’une douzaine d’inventions dont certaines finiront dans le Playstation de Sony (créée en collaboration avec IBM), mais aussi de nombreux produits de l’aérospatiale, une industrie importante pour IBM. C’est d’ailleurs cette connaissance dans le domaine de l’invention et dans sa protection qui l’a motivé à inclure une stratégie de propriété intellectuelle dans ces propres entreprises.
Il quitte IBM pour revenir en Suisse et y élever ses deux enfants, il se donne un peu plus d’un an de temps libre pour réfléchir à la suite. C’est cette parenthèse qui lui a permis de se consacrer à la lecture et à l’introspection. « Je me suis trouvé dans l’incertitude. Je n’ai pas cherché d’emploi car je voulais voler de mes propres ailes pour la première fois de ma vie. C’est le paradoxe de la découverte de soi en se sentant perdu, quelque part. Sur le moment, c’est plutôt désagréable mais quand on y repense, ces petites périodes charnières sont les plus intenses ! »

De l’innovation au succès commercial

Dans le processus qui mène de l’innovation au succès, explique Laurent Balmelli, il faut former l’équipe, gérer le budget, savoir communiquer, lever les fonds, penser assez tôt à protéger sa propriété intellectuelle. Pour lui, c’est la maîtrise de ce qu’il appelle « l’écosystème de l’idée », en d’autres mots, tous les composants de qui vont permettre de former à l’idée d’être réalisée, qui déterminera le succès d’un projet entrepreneurial. Il y a des étapes à anticiper avant de pouvoir récolter les fruits d’une innovation : comprendre la terre dans laquelle son idée a germé, prendre soin de la jeune pousse mais aussi de tout son écosystème. Selon ses propres mots, « c’est le privilège de l’entrepreneur d’amener l’idée à fruition. Dans cet écosystème, les professionnels de l’innovation tel que P&TS sont essentiels, en particulier dans les domaines très compétitifs. »
Y a-t-il une formule magique pour devenir un acteur de l’innovation ? « Je pense qu’on crée sa propre chance grâce à l’opportunité et la sérendipité. Pour cela, il faut sortir de chez soi, s’autoriser à rompre avec la normalité. Il faut retrouver l’instinct de la pensée divergente, associative, et se rassurer qu’il y a en nous la capacité d’amener quelque chose de nouveau et de différent. Dans ce contexte, la sérendipité n’est pas naïve : ce n’est pas une croyance au hasard heureux, mais plutôt une invitation à s’ouvrir, à expérimenter, à s’écarter des sentiers balisés afin de développer un moteur d’invention moderne. Par exemple, je me souviens que discuter d’idées très pointues avec des gens investis dans l’innovation tels que Christophe Saam et son équipe a toujours été une source d’inspiration.»

Découvrir le parcours de Laurent Balmelli

Ses success stories

Strong Codes Inc., start-up de cybersécurité fondée en 2013 au sein de la HEIG-VD. Le produit était un mécanisme de sécurisation des applications mobiles et embarquées comme l’app Pokemon GO, les terminaux de jeu de la Française des jeux ou l’application Snapchat. La startup est rachetée par Snap, inc l’entreprise propriétaire de Snapchat en 2016.
Strong Networks Inc., start-up fondée en septembre 2020 avec Ozrenko Dragic, conçoit des espaces de travail IT conçus pour améliorer la productivité des opérations de développement (DevOps) tout en sécurisant les données. Elle est rachetée en 2024 par la multinationale américaine Citrix, qui fait partie du groupe Cloud Software Group.

Son lien avec le Japon

Laurent Balmelli a vécu entre 2006 et 2011 à Tokyo, où il a dirigé des projets pour le groupe IBM Software dans les domaines du développement de logiciels, l’ingénierie des systèmes et le transfert de technologie. C’est au Japon que naissent ses deux enfants et il acquiert rapidement la langue, développant un lien particulier avec ce pays et sa culture. « La langue japonaise, pour moi, c’est comme un tatouage cérébral, cela reste ancré. » Il retourne chaque année au Japon, pour donner pendant trois semaines son enseignement des stratégies de l’innovation à l’Université de Keio, parallèlement à son emploi chez Citrix. Son cours est disponible sur la plateforme Medium.

Son mot-clé

La sérendipité. Ce mot vient de l’anglais serendipity, terme inventé en 1754 par l’écrivain anglais Horace Walpole, inspiré du conte persan Les Trois Princes de Serendip (Serendip étant l’ancien nom du Sri Lanka), dans lequel les protagonistes font des trouvailles heureuses par hasard, alors qu’ils cherchaient autre chose. La sérendipité est utilisée pour évoquer l’importance de l’imprévu et de l’intuition dans les grandes découvertes technologiques.

Son mot-clé

La sérendipité. Ce mot vient de l’anglais serendipity, terme inventé en 1754 par l’écrivain anglais Horace Walpole, inspiré du conte persan Les Trois Princes de Serendip (Serendip étant l’ancien nom du Sri Lanka), dans lequel les protagonistes font des trouvailles heureuses par hasard, alors qu’ils cherchaient autre chose. La sérendipité est utilisée pour évoquer l’importance de l’imprévu et de l’intuition dans les grandes découvertes technologiques.

Son réseau social

Laurent Balmelli est particulièrement actif sur la plateforme Medium publishing, où il publie des textes sur l’innovation, la cybersécurité et l’intelligence artificielle.

Ses conseils de lectures

All-time

● Bertrand Russel, The Conquest of Happiness

● Daniel Kahnman, Thinking Fast and Slow

● Friedrich Nietzsche, Humain trop humain

The World Today

● Thomas Friedmann, Thank You for Being Late

● Ben Horowitz, The Hard Thing About Hard Things: Building a Business When There Are No Easy Answers

● Craig Mundie, Henry Kissinger, Eric Schmidt, Genesis : Artificial intelligence, Hope and The Human Spirit