L’article 54(5) CBE de la CBE 2000 autorise explicitement les revendications dédiées à l’usage de médicaments déjà connus pour de nouvelles indications thérapeutiques ou dans tout autre utilisation spécifique non déjà comprise dans l’état de la technique. De telles utilisations incluent également de nouveaux régimes de dosage. Cette révision met donc fin aux revendications de type suisse utilisées jusqu’alors pour contourner les restrictions légales initiales et s’aligne ainsi sur les pratiques usuelles dans le domaine pharmaceutique.
Ces dispositions, si elles peuvent laisser craindre une extension indue de la protection d’un médicament via de multiples brevets portant sur différents dosages ou indications thérapeutiques successives, sont également perçues comme une incitation au repositionnement de médicaments connus parfois de longue date. Elles permettent en effet de pallier un éventuel manque d’intérêt de la part des acteurs du marché pour investir dans le développement de produits dont la protection par brevet est échue. La Cladribine (2-Chloro-2′-deoxyadenosine) peut être citée comme exemple. Etant déjà connue de longue date et utilisée contre la leucémie dès les années 1980, elle fait l’objet de la demande de brevet WO9316706, déposée en 1993, qui donnera lieu à la délivrance du brevet EP0626853 en 2000 couvrant le traitement de la sclérose en plaques avec la même molécule.
Depuis, les brevets EP2275110, délivré en 2013, EP1827461, délivré en 2012, EP2263678 délivré en 2014, EP2805723, délivré en 2018, ainsi que la demande de brevet EP3332789 revendiquent différents traitements oraux pour la sclérose en plaques, la sclérose en plaques récidivante/rémittente, ou la sclérose en plaques progressive secondaire précoce, à base de Cladribine. Les efforts pour protéger les différentes posologies et les multiples applications thérapeutiques témoignent de leur intérêt. Les coûts de développement s’affranchissent des études de l’innocuité et des éventuels effets secondaires et s’en trouvent allégés par rapport à ceux d’une nouvelle molécule. Les produits de base étant en outre le plus souvent libres de toute protection, les contraintes liées aux droits tiers s’en trouvent allégées voire inexistantes. Les dispositions de l’article 54(5) CBE offrent donc des perspectives non négligeables, tant pour prolonger le cycle de vie d’un produit que pour en favoriser son repositionnement thérapeutique et commercial.
De telles revendications, pour être valides, doivent cependant obéir aux règles qui s’appliquent à toute invention, à commencer par celles relatives à la nouveauté et à l’activité inventive. Pour les composés déjà bien connus et ayant fait l’objet d’études cliniques, parfois nombreuses, il peut être compliqué de démontrer une réelle activité inventive pour un dosage spécifique ou pour une application thérapeutique dont les chances de succès peuvent être pressenties au vu des connaissances déjà acquises. Dans l’affaire T0239/16, le brevet EP1591122 délivré en 2012 pour l’utilisation de l’acide zolédronique dans le traitement de l’ostéoporose est révoqué pour manque d’activité inventive sur la base des connaissances déjà disponibles. Dans l’affaire T2570/11, le brevet EP1687026 délivré en 2008 pour le traitement de la sclérose en plaques par un inhibiteur de l’IL-17, est également révoqué après opposition pour manque d’activité inventive. Les cytokines telles que IL-17 sont en effet déjà identifiées dans le mécanisme de la sclérose en plaques, ce qui laisse présager du succès d’une telle approche.
Les brevets ayant passé avec succès les procédures européennes peuvent succomber aux mêmes griefs devant les tribunaux nationaux, comme en témoigne l’arrêt rendu le 27 mars 2019 par la Cour suprême du Royaume-Uni dans l’affaire Actavis Group PTC EHF contre ICOS Corporation [2019] UKSC 15 à propos du tadalafil utilisé contre les désordres érectiles. Dans ce cas, le produit étant connu pour agir sur les mêmes cibles biologiques que le Viagra®, fut jugé manquer d’activité inventive.
Le brevet US7619001 délivré en novembre 2009 au nom de Biogen pour un traitement de la sclérose en plaques à base de Tecfidera® (dimethyl fumarate) est suivi du brevet US3399514 délivré en 2013, lequel revendique un dosage oral spécifique de 480mg/jour pour le traitement de la sclérose en plaque avec le Tecfidera®. Mylan Pharmaceuticals parvient en 2020 à faire révoquer le second brevet pour insuffisance de description. Le manque de prédictivité dans le domaine pharmaceutique est souvent invoqué pour légitimer des revendications de dosage ou de seconde application thérapeutique, appuyant l’idée que les informations déjà disponibles ne pourraient être extrapolées pour obtenir l’invention revendiquée. L’évaluation quant à la description de l’invention en est d’autant plus exigeante. Il est alors recommandé de démontrer rigoureusement que les effets allégués ont bien été obtenus au moment du dépôt de la demande et qu’ils ne peuvent résulter d’une simple extrapolation des connaissances déjà acquises. Notons que dans ce cas, la suffisance de description ne se limite pas à permettre à l’homme de métier de reproduire l’invention, mais doit démontrer de manière non équivoque les effets revendiqués. S’il est possible d’accéder à la délivrance d’un brevet en présentant des données suffisamment convaincantes dans le cadre de son examen, son maintien peut se révéler plus difficile lors d’un litige, notamment dans certains pays plus sévères à l’encontre des multiples utilisations d’un produit. Notons en outre qu’une posologie spécifique peut être assimilée à une méthode thérapeutique, ce qui est normalement exclu du champ de protection.
L’article 54(5) CBE offre-t-il donc un accès facile à une protection abusive ? Le débat reste entier. En pratique, de tels brevets soutiennent avantageusement des stratégies de barrage. Ils peuvent certes tomber mais ils conservent leur part de dissuasion et retardent l’accès au marché des concurrents.
05.04.2021
Article 54(5) CBE 2000 médicaments