Qualification d’œuvre créée à l’aide de l’intelligence artificielle et titularité des droits

L’œuvre est le résultat d’un processus créatif ; c’est son caractère individuel et unique qui en fait une œuvre à part entière protégée par le droit d’auteur, peu importe les moyens utilisés par son auteur et son degré d’originalité, même modeste.

La question âprement discutée en lien avec le recours à l’IA c’est la qualification d’œuvre lorsque celle-ci est créée à l’aide d’un outil d’IA et indirectement aussi la question de la titularité des droits sous-jacents.

L’IA doit être au service du créatif et non l’inverse . Ainsi et de manière traditionnelle, toute œuvre nait d’un processus créatif de son auteur, qui aboutit ensuite à une matérialisation de l’œuvre pour que celle-ci puisse être protégée. Cette distinction classique entre l’idée (corpus mysticum) et la forme (corpus mechanicum) a permis de départager l’idée, non susceptible de protection, de la création formelle, susceptible d’être protégée par le droit d’auteur. Si les œuvres classiques des beaux-arts ne prêtent pas le flanc à la discussion, une évolution a déjà eu lieu avec l’avènement de la photographie. D’abord décriée, la photographie a imposé un rapport indirect avec la nature consistant à enregistrer un sujet en image fixe, avec un ensemble de techniques, de procédés et de matériels. Et c’est précisément le choix du photographe (sujet, cadrage, lumière, grain, temps d’exposition, tirage etc.) qui en fait une œuvre unique et originale. La notion d’œuvre s’est ainsi déjà élargie à cette occasion.

La notion d’œuvre doit donc être sans cesse revisitée et réinterprétée, en particulier avec la digitalisation croissante de la société : une photographie enregistrée uniquement sous format numérique est protégée en tant que telle au même titre qu’un tirage papier, même si elle peut être dupliquée à l’infini. Selon le droit suisse, le législateur n’a pas fait usage de la possibilité que lui offrait l’art. 2 al. 2 de la Convention de Berne d’exiger, comme condition de protection, que les œuvres soient fixées sur un support matériel. Une œuvre peut ainsi exister même sans être fixée sur un tel support (art. 29 al 1 LDA), mais l’œuvre doit néanmoins être perceptible par les sens.

Cette interprétation de la notion d’œuvre s’est exacerbée avec l’art contemporain : du fait de l’exigence d’une création formelle, la jurisprudence et la doctrine traditionnelle excluent théoriquement du champ de la protection les concepts et idées. Néanmoins, les œuvres contemporaines, et particulièrement conceptuelles sont caractérisées par la dimension donnée à l’idée, qui est au cœur de la création. En effet, c’est l’idée qui porte l’originalité de l’œuvre, l’empreinte de la personnalité de l’auteur, les choix qu’il a délibérément effectués. La protection de l’œuvre réside inéluctablement dans le concept. Si « l’idée se suffit à elle-même, elle peut s’inscrire dans une forme préexistante qui devient alors le support aléatoire de l’idée ; et il suffit qu’elle ait été « choisie » par l’artiste, non pas « créée ». Dès lors, la création peut, bel et bien, se cristalliser dans l’idée ». Néanmoins, si l’œuvre s’inscrit dans une démarche de dématérialisation, l’idée est encore plus présente, puisque c’est elle la seule représentation de l’œuvre[1].

De ce fait, la différence entre l’idée et la forme serait de degré et non de nature[2], degré qui se mesurerait à l’aune de l’originalité. L’œuvre concrète est celle qui est matérialisée en une entité perceptible aux sens ; la forme de l’œuvre réside alors dans la réalisation d’une idée, sa mise en œuvre au moyen de tels ou tels éléments, tangibles et intangibles[3]. Le droit d’auteur protège ainsi le contenu de la création dans la forme concrète qui lui a été donnée[4] .

Si l’on retient ces principes en matière de création assistée par l’IA, on peut retenir par exemple que le choix d’un sujet – qui peut s’exprimer par un prompt (les « directives ») donné à la machine d’intelligence artificielle, constitue déjà une démarche créatrice ; en effet, l’auteur a dans son esprit une idée qu’il souhaite réaliser et son instrument n’est alors ni un pinceau, ni sa souris, mais l’algorithme d’IA. Ensuite, l’auteur va en général faire un choix parmi les différentes propositions que va lui restituer l’outil d’IA, choix qui sera effectué en fonction de l’idée première de l’œuvre ayant germé dans son esprit. Le choix d’un résultat ne serait ainsi que le continuum du processus créatif. L’enregistrement ou le téléchargement du résultat constitue alors le résultat « tangible » ou perceptible exigé par la loi.

C’est précisément pour cela que les photocopies, les scanners, les tirages à partir de négatifs, les impressions d’œuvres sauvegardées sous forme numérique, les photos de caméra de surveillance, radars, pièges photographiques ou de webcam, ainsi que les photos d’objets en deux dimensions (écrits, plans, dessins) ne constituent pas des œuvres, car il n’y a aucune marge de manœuvre, en particulier sur le plan conceptuel.

L’œuvre est ainsi créée. Mais à- qui appartient-elle vraiment  ?

D’une manière générale, le monde digital et Internet sont gouvernés par des entités privées et régulés par des conditions générales. Les droits de propriété intellectuelle découlant de l’usage des outils d’IA fait généralement l’objet d’un examen très attentif lors de la rédaction des conditions d’utilisation des outils d’IA.

En effet, selon les outils utilisés –  open source ou  propriétaire – l’agence doit pouvoir déterminer si les livrables peuvent être transférés librement au client (et donc lui garantir une exclusivité) mais également pouvoir donner une garantie que le client final ne risque pas d’être attaqué par un tiers qui invoquerait une violation de ses propres droits d’auteur (plagiat).

Les mastodontes de l’IA ont généralement rédigé des conditions générales non négociables par une (petite) agence, qui limitent leur propre responsabilité au maximum et ne donnent, dans les faits, aucune garantie à l’utilisateur de ne pas se voir reprocher la violation de droits de tiers.

Les conditions générales d’OpenAI applicables à tous ses services prévoient par exemple que[5] : You may provide input to the Services (“Input”), and receive output generated and returned by the Services based on the Input (“Output”). Input and Output are collectively “Content.” As between the parties and to the extent permitted by applicable law, you own all Input. Subject to your compliance with these Terms, OpenAI hereby assigns to you all its right, title and interest in and to Output. This means you can use Content for any purpose, including commercial purposes such as sale or publication, if you comply with these Terms. OpenAI may use Content to provide and maintain the Services, comply with applicable law, and enforce our policies. You are responsible for Content, including for ensuring that it does not violate any applicable law or these Terms

On voit ainsi que l’utilisateur est rendu responsable de s’assurer que le « content », qui inclut également l’« output », ne viole pas les droits de tiers. Mais aussi que OpenAi s’exempte également de toute responsabilité quant à la possible violation de droit de tiers sur le résultat :

THE SERVICES ARE PROVIDED “AS IS.” EXCEPT TO THE EXTENT PROHIBITED BY LAW, WE AND OUR AFFILIATES AND LICENSORS MAKE NO WARRANTIES (EXPRESS, IMPLIED, STATUTORY OR OTHERWISE) WITH RESPECT TO THE SERVICES, AND DISCLAIM ALL WARRANTIES INCLUDING BUT NOT LIMITED TO […] NON-INFRINGEMENT […].

Pour le générateur de code source (Codex / Code Generation) l’éditeur de l’outil a inclut une décharge totale de responsabilité eu égard au caractère utilisable ou non du résultat obtenu (« output »)  : Output generated by code generation features of our Services, including OpenAI Codex, may be subject to third party licenses, including, without limitation, open source licenses.

En « plain English » ; cela signifie que les éditeurs d’outils d’IA ne garantissent pas que les résultats obtenus ne violent pas les droits de tiers et que ceux-ci soient donc soumis à des conditions de licence ; en outre, l’éditeur se réserve d’utiliser l’input du client pour améliorer l’outil (en d’autres termes, pour entrainer son algorithme- ce qui est certes de bonne guerre mais implique que le client est obligé de céder une certaine licence sur le contenu qu’il créé, si ce contenu est original). Parfois, des versions payantes de certains outils permettent d’opérer un « opt-out » à ce sujet également.

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Dès lors, il est difficile pour les agences de création de garantir que l’usage de l’IA puisse s’opérer sans risque eu égard à l’usage des résultats obtenus et leur intégration dans les produits et services réalisés pour les clients de l’agence. Comme indiqué dans un billet de blog précédent, une information transparente et l’accord du client à l’utilisation des outils d’intelligence artificielle (par le biais d’une mention dans les conditions générales) seront donc particulièrement indiqués.

Rien ne remplace également la vigilance et le bon sens, afin d’éviter pour le graphiste d’être tenu pour responsable de la violation d’œuvres qu’il n’aurait jamais vues. Il est donc conseillé de procéder à des vérifications sur les résultats issu de l’utilisation d’outils d’intelligence artificielle, mais également de ne pas les reprendre tels quels mais uniquement comme source d’inspiration, en les modifiant ensuite suffisamment pour apporter une note personnelle identifiable se distinguant suffisamment des résultats proposés.

Le cabinet P&TS se tient volontiers à disposition pour examiner avec vous plus en détail les conditions d’utilisation et recommander des limitations à insérer dans vos conditions contractuelles.

[1] Mathilde MARCHAL , L’APPREHENSION DES NOTIONS DE FORME ET D’ORIGINALITE DU DROIT D’AUTEUR PAR L’ART CONTEMPORAIN , mémoire de master, UNIVERSITE D’AIX-MARSEILLE 2018-2019, P.41 et réf. cit. aux notes 200-202 ;

[2] CHERPILLOD I., L’objet du droit d’auteur, étude critique de la distinction fond/ forme, éd. Cedidac, 1985, n° 110, p. 53

[3]  CHERPILLOD I., L’objet du droit d’auteur, étude critique de la distinction fond/ forme, op. cit., p. 74.

[4] Barrelet/ Egloff, Le nouveau droit d’auteur, Commentaire de la loi fédérale sur le droit d’auteur et les droits voisins, 4ème éd. Berne, 2021, N 19, p. 17 et réf citées

[5] https://openai.com/policies/terms-of-use

Intelligence artificielle et création en agence de communication

Cet article fait partie de notre introduction à la problématique de l’intelligence artificielle et de la création en agence de communication.